C'est sous une pluie battante que se fait mon arrivée dans la ville de Trelew, située dans la province de Chubut. Arrivé jusqu'ici n'aura pas été de tout repos puisqu'il m'aura fallu parcourir plus d'un millier de kilomètres à travers une pampa relativement pauvre en population.
Ce millier de kilomètres, pour vous le décrire, pourrait être découpé en deux tronçons de 500 km. La première partie, la plus facile, est parsemée de petits hameaux distants les uns des autres de 120 à 130 kilomètres. Attention! parler de hameaux reste un euphémisme car pour la plupart, ces "villages" ne représentent en fait qu'une station service avec 4 ou 5 maisons gravitant autour. Pour passer ce segment, je règle donc la longueur de mes étapes afin d'atteindre systématiquement l'un de ces points de ravitaillement et disposer ainsi d'une sécurité alimentaire en cas de mauvais temps. Une autre raison me pousse à chaque étape, à parvenir jusque la civilisation: cela ne vous paraîtra peut-être pas grand chose mais quand l'on est amené à camper en pleine Patagonie à la merci des vents; une simple façade bien orientée représente un bouclier derrière lequel il fait bon installer sa tente!
L'itinéraire emprunté se fait à travers la Ruta 3, non loin des côtes atlantiques. C'est une route monotone, rectiligne la plupart du temps, avec un virage tous les 50 à 100 km environ et dont le seul véritable avantage dont elle dispose est qu'elle est entièrement asphaltée, ce qui me permet tout de même d'économiser des forces par rapport à des pistes en graviers où il est nécessaire d'appuyer davantage sur les pédales afin de progresser. Néanmoins, c'est une route dangereuse: étroite et sans bas-côté, limitée en théorie à 110km/h alors que dans les faits (sans doute incité par l'absence de virages) tout le monde dépasse allègrement cette limite; il convient de redoubler de prudence, d'autant plus qu'il faut également compter sur de puissantes rafales de vents ainsi que sur un trafic soutenu. Ce dernier est quasi-intégralement composé par de gros camions citernes de l'industrie pétrolière pour lesquels l'humble cycliste que je représente pourrait être comparé à un insecte qui a le devoir de s'écarter de leur chemin s'il tient à la vie. Mes journées se retrouvent donc ponctuées par de nombreuses sorties de route et autant de départs-arrêtés.
Concernant le deuxième tronçon; il n'y a rien mis à part une station service isolée située approximativement à mi-parcours. Dans le but de mettre toutes les chances de mon côté et bénéficier d'une progression facile, je me lève donc peu avant l'aube, avale quelque chose à la lueur de ma lampe frontale et me mets en route dès qu'il fait assez jour. En m'organisant ainsi, je peux profiter de 2 à 4 heures de route sans vent durant lesquelles je ne m'arrête guère. Pendant cet intervalle, un silence de mort règne... Ici, pas de chants d'oiseaux ni de troupeaux de guanacos pour vous tenir compagnie. Seulement moi, perdu au beau milieu d'une pampa inerte et silencieuse qui en vient même parfois désirer entendre les murmures du vent. Car ici, j'ai appris à l'aimer: Je l'aime et je le crains en même temps. Allier puissant ou ennemi farouche, c'est aussi un fidèle compagnon, une présence qui insuffle la vie et le mouvement, qui nous fait danser au rythme de ses fantaisies et dont le chant sonne comme une musique celeste.
Neuf étapes et dix journées me seront nécessaires avant d'apercevoir Trelew au loin à l'horizon. Alors que la ville m'est encore dissimulée, je la devine pourtant, derrière une petite forêt laissant présager un cours d'eau. Ici, je dois absolument trouver une nouvelle tente: l'actuelle a trop souvent été déployée dans des conditions extrêmes et à maintes reprises les arceaux ont cassé, la fragilisant chaque fois un peu plus. Jusque là, j'avais toujours réparé mais une nouvelle cassure s'est produite il y a deux jours et de tente elle n'a plus que le nom. Le climat a progressivement changé et la douceur du printemps s'est installée désormais. La pampa, elle aussi, change petit à petit et les buissons laissent progressivement place à de frêles arbustres et de l'herbe bien verte commence à apparaître en bordures de routes.
Une fois ma nouvelle demeure acquise, je me remis aussitôt en route... Un nouveau segment long de 700 kilomètres sépare Trelew de Bahia Blanca. Sur ce dernier, on trouve une ville chaque 150 km environ. Les vents, bien que sévissant toujours dans cette partie du globe, se sont atténués eux aussi progressivement: alors que plus au sud les rafales pouvaient être comprises entre 50 à 80 km/h, ici elles ont diminué de moitié. J'accomplirai la distance en 5 jours et 5 étapes, aidé par un vent favorable me donnant des ailes.
La Ruta 3 m'exaspère, notamment à cause de la centaine de poids lourds me doublant chaque jour et d'un niveau de vigilance accru. Aussi, à hauteur de Bahia Blanca, après 1700 kilomètres sur cette dernière, je bifurque sur la 22 afin de traverser le pays d'est en ouest et ainsi rejoindre la mythique Ruta 40, qui suit le tracé de la cordillère. Cette dernière, je l'avais déjà empruntée sur plusieurs centaines de kilomètres entre Chile Chico et Puerto Natales lors de ma descente et sais donc à quoi m'attendre: alternant les parties de pistes et d'asphaltes, offrant aussi peu de possibilités de ravaitaillement que sur la Ruta 3; c'est une route exigente mais au moins là-bas, je serai en paix et puis j'y retrouverai la montagne!
La Ruta 22 commence comme avait terminé la 3 (je ne suis donc pas trop dépaysé): par une longue...très longue ligne droite de 180 km me faisant traverser le Rio Colorado; limite géographique séparant la Patagonie du reste de l'Argentine. Au nord de ce dernier, tout est plus facile puisqu'on y trouve l'essentiel de la population du pays. Les axes routiers y sont également plus développés, m'offrant ainsi de nombreuses options afin d'explorer le pays au gré de mes envies.
Une fois cette énième ligne droite franchie; à hauteur de Choele Choel, la route se met subitement à suivre le tracé du Rio Negro. J'entre dans l'un des "greniers à fruits" argentin: Cerise, pommes, poires, raisins; la zone est verdoyante et agréable à l'oeil après tant de kilomètres passés dans la pampa. Qui plus est, elle est densément peuplée. Aussi ne tardai-je pas à délester ma monture d'un fardeau devenu inutile: de 4 litres d'eau, je passe à un simple bidon que je remplis aussi souvent que je le peux. Terminé également l'obligation de se promener avec un imposant stock de provisions: quand la faim se fait ressentir, je peux à présent acheter au dernier moment, ne me constituant un petit stock de nourriture uniquement avant de bivouaquer.
Mardi 6 novembre, Zapala. À la mi-journée, j'aperçois les cimes enneigées de la cordillère au loin à l'horizon. Derrière, sur l'autre versant, non loin de là, il y a Villarica et son volcan, Pucon, la bande de copains de Los Sauces et la famille Fuica; la docteure Daniela à Reigolil... et un peu plus au nord Éric et Fran. Me retrouver ici permet de prendre la mesure du chemin parcouru. Il s'en est passé des choses ces trois derniers mois: La carretera Austral, La "fin du monde", et puis la traversée de la pampa et passer subitement de la rigueur de l'hiver à des températures estivales en à peine un mois! Me reconnaîtraient-ils derrière ma grosse barbe, ma peau tannée par le soleil et avec quelques kilos en moins? en tout cas, ils en feraient une tête s'ils me savaient là, tout près d'eux!
Cap au nord donc! avec au programme des nouvelles ascensions et autant de descentes, le retour de la piste et de la poussière aussi. Les jours passent et je maintiens un rythme assez soutenu avec des étapes avoisinant les 120-150 kilomètres. Las Lajas, Chos Malal, Barrancas, Ranquil Norte, Malargüe... Chaque jour je croise de nombreux cyclotouristes faisant route à leur tour vers la Terre de feu. Eux, au moins ne souffriront pas trop du froid mais ils devront composer avec des vents beaucoup plus violents que ceux auxquels j'ai eu droit d'après mes informations... À chaque cycliste rencontré, c'est toujours le même rituel: on s'arrête et échange des informations. C'est ainsi que j'apprends l'existence d'une route ne figurant encore sur aucune carte et qui me permettrait d'éviter une piste de 100 kilomètres. Armée d'un bitume flambant neuf, encore fermée à la circulation mais presque achevée: ce ne sont pas moins de 5 cyclistes argentins rencontrés dernièrement qui sont tous passés par là! D'après leurs dires, la piste est dans un état lamentable et se révèle quasiment impraticable: même les automobilistes préfèrent faire un détour sur plus de 200 km et passer par San Rafael afin de la contourner; arguments finissant par me convaincre, moi aussi, d'emprunter cette dernière afin d'économiser mes forces.
Trouver un campement est devenu beaucoup plus facile depuis que je me trouve sur la 40. Terminé les bivouacs improvisés au beau milieu de la pampa, dans des maisons en construction parfois insalubres ou encore dans les stations services. Ici, chaque village possède un camping municipal, gratuit la plupart du temps et parfois même équipé de douches. Lorsqu'ils sont payants, je me rabats sur une zone généralement située aux confins de chaque village où la municipalité met à disposition de tout le monde de gros barbecues montés sur pierres. Tables, bancs, sanitaires et eau courante, avec de nombreux arbres projetant leurs ombres à même le sol, rien ne manque et il fait bon s'y reposer aux heures les plus chaudes. Ces espaces sont aussi un formidable lieu de vie et les gens y viennent en groupe boire le maté, discuter ou encore y faire la sieste. Je suis à l'aise sur ces paisibles routes montagneuses. Le vent du nord, apportant avec lui la chaleur des tropiques, rend mes journées un peu plus pénibles mais je continue à passer aisément les 100 kilomètres chaque jour. Je ne roule à présent que sur des demis-journées; démarre très tôt "à la fraîche" et ne tarde pas à m'arrêter une fois le soleil à la verticale. Les après-midi, après avoir cuisiné quelque chose, sont consacrés à la lessive, à l'inspection et l'entretien de mon vélo si besoin est ou encore parfois à un peu de couture afin de raccomoder mes vieilles fripes. Je lis, écris ou encore fais la sieste et partage de bons moments en compagnie des populations locales. Il y a peu, j'ai fait mes comptes et me suis aperçu que j'ai franchi la barre symbolique des 60.000 km. Une fois et demie le tour de la terre en solitaire...déjà! Cette année, j'ai bien progressé. Néanmoins, lorsque dans ma tête je passe en revue mon parcours, je m'aperçois rapidement que cette distance ne représente encore que quelques gouttes d'eau. L'Afrique et l'Asie me font rêver elles-aussi et sont encore pour la plupart vierges de mes traces. La tâche est colossale. Y arriverai-je? Mes finances sont au plus bas et ma monture commence à constituer l'essentiel de mes dépenses. Après la transmission, c'est cette fois ma roue avant qui commence à développer un jeu latétal inquiétant. En plus, je me suis rendu compte que les deux galets de la patte du dérailleur arrière sont complètement usés... Il faut réagir, sans trop tarder, et sans trop dépenser dans la mesure du possible!
Trouver un campement est devenu beaucoup plus facile depuis que je me trouve sur la 40. Terminé les bivouacs improvisés au beau milieu de la pampa, dans des maisons en construction parfois insalubres ou encore dans les stations services. Ici, chaque village possède un camping municipal, gratuit la plupart du temps et parfois même équipé de douches. Lorsqu'ils sont payants, je me rabats sur une zone généralement située aux confins de chaque village où la municipalité met à disposition de tout le monde de gros barbecues montés sur pierres. Tables, bancs, sanitaires et eau courante, avec de nombreux arbres projetant leurs ombres à même le sol, rien ne manque et il fait bon s'y reposer aux heures les plus chaudes. Ces espaces sont aussi un formidable lieu de vie et les gens y viennent en groupe boire le maté, discuter ou encore y faire la sieste. Je suis à l'aise sur ces paisibles routes montagneuses. Le vent du nord, apportant avec lui la chaleur des tropiques, rend mes journées un peu plus pénibles mais je continue à passer aisément les 100 kilomètres chaque jour. Je ne roule à présent que sur des demis-journées; démarre très tôt "à la fraîche" et ne tarde pas à m'arrêter une fois le soleil à la verticale. Les après-midi, après avoir cuisiné quelque chose, sont consacrés à la lessive, à l'inspection et l'entretien de mon vélo si besoin est ou encore parfois à un peu de couture afin de raccomoder mes vieilles fripes. Je lis, écris ou encore fais la sieste et partage de bons moments en compagnie des populations locales. Il y a peu, j'ai fait mes comptes et me suis aperçu que j'ai franchi la barre symbolique des 60.000 km. Une fois et demie le tour de la terre en solitaire...déjà! Cette année, j'ai bien progressé. Néanmoins, lorsque dans ma tête je passe en revue mon parcours, je m'aperçois rapidement que cette distance ne représente encore que quelques gouttes d'eau. L'Afrique et l'Asie me font rêver elles-aussi et sont encore pour la plupart vierges de mes traces. La tâche est colossale. Y arriverai-je? Mes finances sont au plus bas et ma monture commence à constituer l'essentiel de mes dépenses. Après la transmission, c'est cette fois ma roue avant qui commence à développer un jeu latétal inquiétant. En plus, je me suis rendu compte que les deux galets de la patte du dérailleur arrière sont complètement usés... Il faut réagir, sans trop tarder, et sans trop dépenser dans la mesure du possible!
Cela tombe bien! j'ai un pied-à-terre à Cordoba, à 700 km de là, où je vais pouvoir prendre le temps de dénicher (je l'espère) des pièces d'occasions encore en bon état et pour un prix réduit voir gratuit pourquoi pas? Je suis attendu là-bas par Olga Galluci, la mère de Gabriel, un argentin vivant en Italie et qui m'avait fourni le gîte et le couvert plusieurs jours durant lors de mon périple italien. Étant à présent sur ses terres, je l'avais contacté afin de savoir s'il était dans les environs. Il me répondit que non, mais que sa mère serait ravie de me recevoir à son tour.
À hauteur de Mendoza, je quitte donc la 40 afin de me diriger cette fois vers le centre-nord du pays à travers les routes nationales 7 et 8, riches en culture céréalières ainsi qu'en bétail.
Je fais mon entrée sur Cordoba en date du 21 novembre. Deux jours durant, j'y écumerai toutes les bicicleterias de la ville. Pour vous donner une idée et après avoir récolté de nombreux devis, le simple coût des deux galets plus la pose devaient revenir à 1200 pesos argentins, soit 30 euros environ. Quand on est pressé, c'est dans ces moments-là où l'on sort le porte monnaie et paie le prix fort. Heureusement pour moi, considérant le temps comme l'une de mes principales richesse, je ne pressai pas et finis par dénicher la perle rare chez la bicicleteria Iwulski. D'emblée, le patron et moi sommes sur la même longueur d'onde. Recycleur dans l'âme, j'y trouve un moyeu et les fameux galets dans un état plus que décent, un pneu thaïlandais de bonne facture quasi-neuf ainsi qu'un mécanicien d'exception. Ce dernier me nettoie même mon vélo qui brille comme un sous neuf, graisse, lubrifie et m'arrange tous mes petits problèmes. Au final, je me serai fait de nouveaux amis avec lesquels boire le maté et la facture totale monte à 800 pesos, soit 20 euros seulement, ce qui ne représente pas grand chose au vu de tous les services rendus. Je repartirai même avec un flacon de cire destiné à protéger ma chaîne des intempéries, cadeau de la maison!
À hauteur de Mendoza, je quitte donc la 40 afin de me diriger cette fois vers le centre-nord du pays à travers les routes nationales 7 et 8, riches en culture céréalières ainsi qu'en bétail.
Je fais mon entrée sur Cordoba en date du 21 novembre. Deux jours durant, j'y écumerai toutes les bicicleterias de la ville. Pour vous donner une idée et après avoir récolté de nombreux devis, le simple coût des deux galets plus la pose devaient revenir à 1200 pesos argentins, soit 30 euros environ. Quand on est pressé, c'est dans ces moments-là où l'on sort le porte monnaie et paie le prix fort. Heureusement pour moi, considérant le temps comme l'une de mes principales richesse, je ne pressai pas et finis par dénicher la perle rare chez la bicicleteria Iwulski. D'emblée, le patron et moi sommes sur la même longueur d'onde. Recycleur dans l'âme, j'y trouve un moyeu et les fameux galets dans un état plus que décent, un pneu thaïlandais de bonne facture quasi-neuf ainsi qu'un mécanicien d'exception. Ce dernier me nettoie même mon vélo qui brille comme un sous neuf, graisse, lubrifie et m'arrange tous mes petits problèmes. Au final, je me serai fait de nouveaux amis avec lesquels boire le maté et la facture totale monte à 800 pesos, soit 20 euros seulement, ce qui ne représente pas grand chose au vu de tous les services rendus. Je repartirai même avec un flacon de cire destiné à protéger ma chaîne des intempéries, cadeau de la maison!
La señora Galluci, qui était il y a peu presque aveugle, vient de subir une intervention chirurgicale afin de recouvrer la vue. Le fils de Gabriel, Luca, est même venu spécialement d'Italie pour prendre soin de sa grand-mère. La cohabitation se passe bien: Luca s'occupe d'accompagner sa grand-mère à ses visites, fait les courses et la lessive. Quant à moi, je prends en charge la cuisine et le nettoyage et profite de ce repos pour faire connaissance avec la famille et réfléchir sur la route à suivre.
Perdu entre de nombreux pays qui sont autant de destinations touristiques majeures, le Paraguay me fait très envie. J'ai déjà à quelques reprises pu échanger quelques moments avec des routiers paraguayens et les ai toujours trouvés d'une gentilesse et d'une extrême courtoisie, aussi m'ont-ils convaincu de sillonner leurs terres. De plus, c'est encore une destination touristique méconnue et je pense y représenter "l'ami qui vient de loin" plutôt que d'être pris pour une banque ambulante juste bonne à "cracher les billets" comme c'est un peu trop souvent le cas, malheureusement.
La señora Olga, à qui j'ai exposé mes plans, me conseille de passer la frontière à Clorinda, près d'Asuncíon la capitale... Cependant, cet itinéraire (bien que plus court) me fait arriver un peu trop au sud-est du pays à mon goût. Je lui préfère donc un "itinéraire maison"élaboré à l'instinct et faisant route plein nord au sortir de Cordoba. Un retour en Bolivie est également prévu au programme et j'aborderai ainsi le Paraguay par une frontière située au nord-ouest et pourrai ainsi le parcourir d'une extrémité à l'autre.
L'été n'est plus très loin à présent et mes habits d'hiver ont trouvé une nouvelle place, bien enfouis au fond de mes sacoches. Devenus un fardeau inutile, voilà qui fera d'excellents cadeaux aux gens qui me recevront dans un futur proche. Près de 1200 kilomètres me séparent encore de la frontière bolivienne et de sa région El Chaco au sortir de Cordoba. Pour la rejoindre, je choisis d'emprunter les routes 60 et 157, qui me font passer entre autre par las Salinas Grandes où l'aridité règne en maître avant de retrouver une végétation plus luxuriante. Je souffre désormais beaucoup de la chaleur et passe de petites nuits à cause de cette dernière. Les orages deviennent heureusement de plus en plus fréquent et rafraîchissent bien l'atmosphère.
En date du 14 décembre, je repasse en Bolivie à la frontière de Yacuiba: Six mois après être passé par son altiplano, je découvre ici un autre visage du pays. El Chaco boliviano est la zone la plus chaude de Bolivie. Ici, on cultive le maïs, le soja et le manioc. Les manguiers donnent à plein régime et les cigales chantent désormais à la tombée de la nuit, signe annonçant que la récolte des pastèques bat son plein. Je retrouve également les joues bombées des nombreux mâcheurs de "coca con bica" et parfois les petites femmes boliviennes avec leurs nattes tressées coiffées de leurs chapeaux-melon.
J'atteins Villa Montes, se situant à 120 kilomètres de la frontière avec le Paraguay et dernière ville sur mon parcours avant plusieurs centaines de kilomètres, vers la mi-matinée du 17 décembre.
À peine sorti de la ville que la tige maintenant la roue arrière solidaire du cadre explose soudainement et laisse dévoiler ses différentes parties sur la chaussée...J'avais vu il y a quelques jours que ma roue arrière commençait à son tour à développer du jeu, mais je pensais cependant avoir encore le temps avant de m'occuper de cette nouvelle avarie...
Confronté à un nouveau problème, je pourrais enrager contre ce coup du sort. Et bien non! je souris pourtant! et là où certains verraient peut-être le mauvais oeil, je ne vois là que protection. En effet, et comme à chaque fois où je fais de la casse, cela se produit toujours dans une zone où je suis à même de régler le problème facilement. Et pourtant, ce n'est pas faute de traverser des déserts ou d'autres zones éloignées de la civilisation! et étrangement, dans ces moments-là, je ne casse jamais rien! Alors hasard et coïncidence ou protection et puissances supérieures? Libre à chacun de voir les choses à sa manière et de les interpréter comme il le souhaite!
Devant donc à présent me mettre en quête d'un atelier où régler le problème, c'est à pied et en poussant le vélo que je fais demi-tour. Je n'aurai pas à faire un grand bout et toutes les personnes interrogées tour à tour ont toutes l'air de m'orienter vers le même endroit, c'est bon signe! Aussi ne tardai-je pas à trouver l'atelier en question.
Genaro, le grand-père et propriétaire de cet humble commerce y est secondé par Sebastian (15 ans) venu gagner quelques sous pendant ses vacances, ainsi que par ses deux fils venus lui prêter main forte en cette période de fin d'année car ils croulent sous le travail. Une petite file d'attente s'est même formée et je comprends vite que ça va prendre du temps, peut-être toute la journée même. Aussi, commençai-je à penser comment j'allais me mettre à jouer cette partie-là...
Non loin de l'atelier, j'aperçois une petite dame vendant des jus frais à l'ombre d'un bel arbre sous lequel se trouve des chaises libres installées. De là, j'ai une vue imprenable sur toute la rue et je trouve l'endroit formidable pour réfléchir. Je ne me presse pas car je n'ai nulle part où aller et pas d'argent à dépenser et tout en sirotant mon eau parfumée au sésame, analyse ma situation: Ne sachant pas l'étendue des dégâts avant que le moyeu soit démonté, ni le temps que cela prendra une fois le diagnostic établi, finalement le seul détail dont j'ai à me soucier pour le moment est de trouver un coin où établir mes quartiers le temps de solutionner ce problème.
Entre la dame vendant ses rafaîchissements et l'atelier, il y a une grande basse-cour qui ferait, pensai-je, un endroit plus que convenable pour y déployer ma tente. Je retourne donc voir Genaro et lui demande à tout hasard s'il ne serait pas l'heureux propriétaire de cette bâtisse. Il me répondit que non, mais que la dame vendant ses jus lui loue son fond de commerce et que c'est à elle que je dois m'adresser. Parfait! Ni une ni deux, je retourne auprès d'elle afin de lui expliquer ma situation et de lui demander l'autorisation d'annexer un petit coin de sa cour le temps d'une nuit, ce à quoi elle répondit par l'afformative. Et voilà, déjà un problème de régler! je peux donc me la couler douce et en profiter pour me reposer, puisque je n'ai rien de mieux à faire.
La matinée s'écoule paisiblement et j'attends mon tour. Ayant repositionné ma chaise à l'ombre devant l'atelier, je les regarde travailler et discute avec eux entre deux réparations. Lorsque survint la pause déjeuner, mon tour n'est encore pas arrivé mais Genaro m'invite gentiment à partager l'almuerzo avec eux. Nous prenons le repas sur place et comme ils ont la bonté de m'inviter et que le soleil est de plomb, j'offre les rafraîchissements. En milieu d'après-midi, le moyeu est enfin démonté. Ouf! c'est réparable, mais avec plus de 45.000 kilomètres à son actif, l'usure est prononcée et la réparation ne sera que temporaire, m'offrant ainsi un répis devant me permettre de trouver une pièce de rechange.
face à ce nouveau problème, un petit point carte est nécessaire et un "nouveau jeu" commence. Sur Villa Montes, la pièce est introuvable mais Benjamin, le fils cadet de Genaro, m'annonce que sur Tarija (située à environ 200 km à l'ouest d'ici dans la sierra bolivienne) je trouverai mon bonheur. Lui demandant de me décrire cette route, j'apprends qu'il y a plusieurs cols à passer et que l'essentiel du parcours de fait sur de la piste, apparemment en bon état. Ma deuxième option, c'est de continuer ma route vers le Paraguay et de réparer là-bas. Cependant, de ce côté, il n'y a aucune ville sur une distance avoisinant les 500 km. En revanche, la route y est plate bien que comprenant elle aussi plusieurs sections de pistes.
Ces nouvelle données en ma possession, je passai donc l'après-midi à méditer sur ce cas particulier. Un moyeu arrière neuf avec cassette neuve coûte environ 50 US$, ce qui représente une véritable fortune au point où j'en suis. les ascensions et les pistes sont désormais à éviter au maximum puisqu'elles solliciteront davantage le moyeu et augmenteront le risque de casse.
Je me trouve encore à 1200 km d'Asuncíon, qui attire mon regard et semble être le meilleur endroit pour réparer. En effet, Louis et Marc, les deux frangins canadiens, ont prévu de m'y rejoindre à la mi-janvier afin de m'accompagner à vélo jusqu'à Montevideo. Une fois sur place, ils vont avoir besoin de s'acheter des montures, ce qui représente une dépense importante et je décide donc de miser là-dessus pour y négocier le moyeu en cadeau...Je prie donc et croise les doigts pour que le moyeu tienne jusque là. si j'y parviens, il y a de fortes chances pour que je gagne la partie et râfle la mise, ça vaut le coup d'essayer!
Je n'aurai finalement même pas à monter la tente. À la tombée de la nuit, Benjamin m'accompagne à vélo jusque la demeure familiale afin de m'y doucher, y dîner et même y dormir dans une chambre qu'ils mettent à ma disposition. Ce n'est que le lendemain matin que je me remets en route en direction du Paraguay donc. J'atteins la frontière en date du 19 décembre, à la mi-journée. El Chaco paraguayo est une zone aride, très aride même, sans une goutte d'eau, avec une végétation de type savanne et qui s'étend sur plus de 500 kilomètres, jusqu'à franchir el Rio Paraguay.
Prenant sa source dans le Mato Grosso brésilien, il scinde le pays du nord au sud. À l'est de ce dernier, on y trouve, concentrée, l'essentiel de la population du pays. Je franchirai ce dernier en date du solstice d'été, après avoir consommé plusieurs jours durant de l'eau de pluie, comme tous les habitants de cette région du monde.
Au Paraguay, tout le monde parle naturellement le Guarani. Ses habitants parlent aussi l'espagnol, mais ils commencent à l'apprendre lorsqu'ils rentrent à l'école primaire. L'humilité, la compassion, le partage; ses habitants regorgent de qualités. Les pluies tropicales sont ici d'une violence inouïe et afin de m'en prémunir, chaque jour, je me mets en quête d'un avant-toit sous lequel établir mon campement. Systématiquement et sans rien demander, on m'invite à chaque fois à partager le repas familial, qui sont autant d'occasions d'y perfectionner mon guarani rudimentaire, qui s'étoffe malgré tout un peu plus chaque jour.
22 décembre à la mi-journée. Je viens de passer Yby yaü et me trouve désormais à environ 400 kilomètres de la capitale. Le moyeu, bien qu'ayant regagné du jeu, semble pouvoir tenir la distance, c'est presque gagné! Je fais à présent route plein sud et traverse une colonie brésilienne lorsque deux hommes se trouvant sur la bas-côté de l'autre côté de la rue et semblant attendre quelqu'un ou quelque chose attirent mon attention. Je m'empressai donc de traverser la route afin de leur demander s'ils connaissent un bon endroit où bivouaquer et engage la conversation.
Luis Villalba a 30 ans et travaille dans une estancía, ces grandes exploitations bétaillères et agricoles. Il est accompagné par Miguel, 28 ans (son beau-frère) et rapidement, plutôt que de camper ici, Luis me fait une bien meilleure proposition: il se propose pour m'héberger chez Miguel et sa soeur et de passer Noël en leur compagnie à Yby yaü. Lui doit s'absenter aujourd'hui même et rendre visite à sa grand-mère et ne reviendra que le 24, dans la matinée.
Le temps de la discussion, trois bus lui sont déjà passés sous le nez et Miguel se propose donc pour l'emnmener jusqu'au terminal. Après m'avoir expliqué comment rejoindre son domicile, nous nous séparâmes et je commençai à rebrousser chemin. C'est ainsi que je fis mon entrée au sein de la grande famille Villalba, composée d'une fratrie de 11 frères et soeurs. Alors qu'au départ je devais poursuivre ma route après Noël, je passerai également les fêtes de fin d'année en leur compagnie sur leur invitation.
Gilda, affectueusement surnommée Ninie, est l'épouse de Miguel depuis peu de temps. Parents du petit Daniel 4 mois, ils possèdent ensemble un petit commerce de quartier vendant des produits de premières nécessités, des glaces et des empanadas également. Ninie se charge de la confection et Miguel de la livraison. Cette dernière est également la mère d'Hernán, fruit d'une précédente union et pour lequel j'ai une grande affection.
La maison appartient à Ninie et est actuellement occupée par Samuel, son frère, qui est en convalescence car il se remet d'un accident de la route qui a eu lieu il y a de cela deux mois.
Les jours se succèdent paisiblement et je ne sors pas beaucoup. Je passe l'essentiel de mon temps en compagnie de Ninie et Samu à boire le terere (maté froid) la boisson nationale à l'ombre des manguiers ou encore avec Hernán, à inventer des jeux tous plus farfelus les uns que les autres ou à remettre son vélo en état.
En effet, un beau jour, j'eus l'idée de sortir ma monture afin de la nettoyer des pistes paraguayennes et je vis qu'Hernán s'empressa aussitôt de sortir la sienne, dans un état lamentable. Ninie me dit alors que voilà des mois qu'il la harcèle afin que son vélo soit remis en état. Mais dans le coin, personne ou presque ne roule à vélo et il n'y a par conséquent aucun atelier où le réparer...
Hernán est un petit garçon formidable et très intelligent. Après en avoir terminé avec mon vélo, je pris en main sa formation et lui appris tout ce que je savais sur la mécanique cycliste. Nous fouillons dans tous les tiroirs de la maison, lui constituant ainsi une caisse à outils; raccourcissons sa chaîne de plusieurs maillons, changeons ses freins, réglons sa potence et sa hauteur de selle, nettoyons, graissons et lubrifions les différentes parties mécaniques et redonnons vie à sa monture. Il est aux anges et à chaque fois que Ninie, Samu ou moi-même avons besoin de quelque chose, il s'empresse alors de se saisir de son vélo et se propose comme coursier avec une joie de vie qui fait plaisir à voir.
Si je n'inclus pas Miguel dans cette histoire, c'est simple, c'est qu'il n'est jamais là... Ne rentrant qu'à la mi-journée pour y prendre le repas et faire une petite sieste (après quoi il disparaît tout l'après-midi), je me demande bien ce qu'il fait toute la journée... Je lui ai bien posé la question, mais il me répond qu'il travaille tout simplement...L'essentiel des discussion lorsqu'il est à la maison se passant en guarani, je ne comprends pas grand chose et n'ose pas insister, ne voulant pas mettre mes hôtes dans l'embarras.
Lorsque le réveillon de Noël arriva, Miguel, Luis et moi-même partîmes dans "le Monte" chez les parents de Ninie. Elle, reste à la maison en compagnie des enfants et de Samu. Vers 22 heures, Miguel m'annonce qu'il va redescendre et rejoindre Ninie mais qu'il repassera me prendre demain dans la journée. Finalement, je ferai le trajet retour en compagnie de Luis, qui me dépose chez sa soeur. À mon retour, l'ambiance est tendue et j'apprends que Miguel n'est jamais repassé à la maison. Il me dit qu' il a préféré rejoindre sa famille, qu'il a un peu trop bu, et a préféré passer la nuit là-bas...Plus les jours passent, plus il montre son vrai visage. Car il ne faut pas me prendre pour un imbécile et bien que ne répondant pas à ses mensonges, je n'en pense pas moins car il est inpensable qu'il puisse rejoindre ces derniers en laissant sa femme et son fils derrière lui...
Quant à Ninie, elle évite soigneusement le sujet, je n'en saurai donc pas plus pour le moment, inutile d'insister.
Arriva le réveillon du nouvel an. Cette fois, un barbecue est prévu ici-même. Après le repas; Ninie, le petit Daniel et Miguel s'en vont rendre visite aux parents de ce dernier ensemble cette fois. Les douze coups de minuit ont sonné depuis un moment déjà et nous sommes déjà tous couchés lorsqu'ils reviennent. Cependant, Miguel se contente de déposer sa femme et son fils et ressort aussitôt, annonçant qu'il va faire un petit tour...
Ce fut la dernière fois que je vis Miguel... À mon départ d'Yby yaü (le 2 janvier), il n'avait toujours pas montré signe de vie... Ninie s'est enfin confiée à moi et pendant des heures je l'ai écoutée raconter son histoire: Miguel? il est accroc au crack et depuis qu'ils sont ensemble, il disparaît régulièrement pendant des jours entiers, voir pendant quelques semaines parfois... Elle a ainsi passé l'essentiel de sa grossesse sans lui, a accouché sans lui et elle possédait auparavant un commerce beaucoup plus prospère que l'actuel, mais s'est vue obligée de vendre la plupart de ses biens afin de subvenir aux nombreuses dépenses médicales. Miguel, lui, n'a pas d'argent, ne possède rien et ne l'a jamais aidée. Il avait bien une belle moto auparavant mais elle a appris qu'il l'a mise en dépôt chez un prêteur sur gage et bien entendu et comme à chaque fois, il a perdu son bien. Quant à l'argent, Ninie n'en ayant jamais vu la couleur; vous vous doutez bien où il a pu passer. C'est elle qui a tenu au mariage, sans doute dans l'espoir de fonder une famille unie autour de ses enfants et aussi pour fournir une porte de sortie aux problèmes de son époux mais ça n'a pas l'air de bien fonctionner hélas... Samu, peu après son accident, était en convalescence chez l'un de ses frères mais quand il a appris la situation de sa soeur, il s'est empressé de la rejoindre.
Situation délicate que la sienne... Que puis-je faire pour elle? Rien, mis à part l'écouter, lui apporter tout comme sa famille mon soutien et le réconfort dont elle a besoin et prier pour elle.
Depuis que j'ai repris ma route, pas un jour ne passe sans que je ne pense à elle ni que j'intercède en sa faveur. Car voyez-vous, les prières ont un pouvoir, n'en doutez pas une seule seconde! Je vais même en dévoiler l'un des secrets avec vous car pour activer ce pouvoir il y a une toute petite condition. N'ayez pas peur c'est tout simple puisqu'il suffit de demander beaucoup pour les autres, et seulement un peu pour soi, essayez vous verrez!
Quelques chiffres:
- À ce jour j´ai parcouru 4237 km en Argentine en 48,5 jours et 36,5 étapes, soit une moyenne de 116 km par étape
- J´ai également parcouru en Bolivie 229 km en 5,5 jours et 3,5 étapes, soit une moyenne de 76,3 km par étape.
- J´ai également parcouru au Paraguay 1065 km en 27 jours et 7 étapes, soit une moyenne de 152 km par étape.
- J´ai également parcouru au Paraguay 1065 km en 27 jours et 7 étapes, soit une moyenne de 152 km par étape.
- Le compteur total s´élève à environ 62.718km, en 1122 jours et 695 étapes, soit une moyenne de 90,24 km par étape.
- 240 cols franchis au total.
- 9205 euros dépensés à ce jour tout compris (transits en voilier ou avion, visas, hébergement, pièces pour le vélo, nourriture...), soit une moyenne d´environ 8,2 euros par jour.