vendredi 26 octobre 2018

Là où rugissent les vents: Aventures en Patagonie

Voilà près de trois semaines désormais que je me trouve avec Éric et sa belle famille. En leur compagnie, j´en aurai profité pour reprendre des forces et aurai surtout passé d´agréables moments. La région del Maule où Éric a élu domicile est envahie (comme beaucoup trop d´autres régions andines qu´il m´ait été donné l´occasion de traverser) par de nombreuses plantations d´eucalyptus ou de pins; les premières étant destinées au commerce fructueux du bois de chauffage tandis que les autres alimenteront celui des maisons en préfabriquées.
Si les mines de l´Atacama représentent "le cancer du Chili", alors quelle maladie symboliserait le mieux ces désastreuses plantations?... Bien sûr, dans un pays où il est nécessaire de chauffer les maisons, l´eucalyptus (qui croît très rapidement) semble une solution appropriée afin de satisfaire l´énorme demande en bois de chauffage. Cependant, on oublie un peu vite que ses besoins en eaux sont gargantuesques, sans compter (en plus) sur le fait qu´il ne tolère aucun autre arbre dans son sillage. Voici donc réuni tous les ingrédients d´une catastrophe écologique favorisant l´érosion et faisant donc même parfois disparaître les arbres natifs.
Alors certes, il permet sans doute à de nombreuses familles qui ont choisi son exploitation de subvenir à leurs besoins, mais n´oublions pas que ceux qui en paieront le véritable prix seront les générations futures!
Si je généralise, je pense que nombre de nos problèmes le sont car nous manquons profondément de patience: préférant choisir la manière la plus rapide de satisfaire un besoin (oubliant ou ignorant volontairement les conséquences à long terme puisque nous ne seront plus là pour les voir ou les affronter) nous prenons trop souvent la mauvaise décision et dirigeons ainsi droit dans le mur nos propres enfants... Pourtant, j´ai l´intime conviction qu´il y a toujours une meilleure solution, certes plus lente, sans doute plus difficile mais plus respectueuse de notre planète et ne lésant personne! Alors peut être serait-il temps de revoir notre copie et d´ajouter ces paramètres à nos décisions avant qu´il ne soit trop tard, ne le pensez-vous pas vous aussi?
La majorité de la population chilienne est concentrée dans la zone centrale du pays, située entre le désert d´Atacama au nord et la Patagonie au sud. Le réseau routier y étant plus développé, il devient ici plus aisé de s´éloigner de la panaméricaine via des itinéraires beaucoup plus paisibles.
Nous sommes le 10 août lorsque je laissai Éric, Fran et le petit Nahuel afin de poursuivre ma route vers le sud. C´est sous un temps maussade que s´effectuent mes premiers tours de roue et le climat ne va pas aller en s´arrangeant! Plus je vais descendre plus les conditions promettent de se dégrader: le vent devrait ainsi gagner en force, les températures continueront de chuter, la pluie ou la neige augmenter en fréquence ; quant aux belles routes asphaltées, elles laisseront bientôt place à des pistes qui rendront ma progression un peu plus lente et éprouvante.
À force de voyager en solitaire, on en vient parfois à développer des émotions contradictoires du genre: "J´ai envie de me retrouver seul avec moi-même / Avoir de la compagnie me manque"...Ainsi en sortant de Lolol j´avais des envies de solitude. Envie de continuer à progresser aussi et avaler les kilomètres, découvrir de nouvelles choses, sentir la brise venir vous caresser le visage, transpirer, être couvert de poussière, bivouaquer, observer les étoiles par une nuit sans lune... mais c´était sans compter sur l´incroyable hospitalité chilienne qui allait me jouer plus d´un tour puisque j´allais seulement parcourir 500 petits kilomètres durant les trois semaines à venir...et continuer à progresser mais pour me retrouver catapulté de foyers en foyers ; ce qui malgré mes plans de solitude me convient parfaitement parce qu´il ne faut jamais oublier de se laisser porter par le courant et non aller contre lui, en tirer le meilleur parti, être reconnaissant et ainsi profiter de chaque cadeau que la providence veut bien mettre sur votre chemin.
C´est ainsi qu´après trois petites étapes et 280 kilomètres qui sont venus s´ajouter au compteur, je me retrouvai à traverser le petit hameau de Los Sauces afin de m´y ravitailler. Cette fois, tout est parti d´un simple pin´s que des pompiers chiliens m´avaient remis quelques temps auparavant et qui n´échappa pas à l´oeil affuté de Cami, employée municipale travaillant à la bibliothèque du village.

Elle commença par me dire "- Salut, mon père aussi est pompier!" et de fil en aiguille je me retrouvai en moins de deux attablé dans le bureau de la bibliothèque en train de boire le maté avec cette dernière et Pame, sa chef.
Tout le village est en effervescence: nous sommes aujourd´hui mardi et j´apprends que ce week end a lieu un festival gastronomique requérant la collaboration d´une grande partie des effectifs communaux afin que tout soit prêt à temps. Sans vraiment comprendre comment, je me retrouvai ainsi parachuté au sein d´une équipe dans laquelle se trouve Mari (la soeur de Cami) en train de transformer le gymnase municipal en véritable salle de restaurant et occupé à installer des kiosques...Victor, le boss en charge de l´organisation des différentes équipes ne me laisse pas tranquille et trouve toujours quelque chose à me faire faire. Avant la fin de la journée, mes différentes tâches m´ayant fait parcourir le village dans tous les sens, je connais déjà beaucoup de monde... même des personnes qui eux ne me connaissent pas! je sais par exemple à quoi ressemble le maire, connaît l´emplacement exact de sa maison et sais expliquer comment s´y rendre ; j´ai également entendu des rumeurs sur l´homme le plus riche du village (qui n´est autre que le capitaine des pompiers) et sais qu´il est un grand propriétaire terrien... Lorsque je me retrouvai à expliquer tout cela aux parents de Cami et Mari qui m´ont gentiment convié au repas familial, c´est à croire que j´ai toujours habité ici, me disent-ils... nous avons tous bien ri de mon petit exposé!
Mari, qui dispose de la maison la plus spacieuse, m´offre le gîte pendant la durée de mon séjour ici et m´installe un petit coin fort agréable situé non loin du poêle à dormir au coin du feu qui crépite, génial! Cinq jours durant lesquels je ne vais pas avoir le temps de m´ennuyer vont ainsi passer jusqu´au festival. Le dimanche matin, de bonne heure, je dis au revoir à cette charmante famille qui m´a reçu les bras ouverts et accepté comme l´un des leur.
Si "mes pas" m´avaient guidé par cette petite route de campagne, Éric est en partie responsable (et je l´en remercie bien d´ailleurs). Après tout, c´est lui qui m´a conseillé de me rendre vers Pucón et ses volcans.
Cette fois, vais-je réussir à retrouver mon style de vie nomade et à voyager plus de 3 jours consécutifs? et bien non! Pourtant, tout avait bien commencé après mon départ de Los Sauces... Le ciel était d´un bleu immaculé et malgré le froid hivernal, je parcourus aisément près de 190 kilomètres en 1 jour et demi, me dirigeant une nouvelle fois vers la cordillère à travers un parcours qui se fit de plus en plus accidenté. J´atteignis la ville de Cunco sans grande peine, après quoi je m´engageai sur une belle piste en gravier. Je retrouve la poussière, le silence, ne croise quasiment personne, super! Au cours du troisième jour depuis ma sortie de Los Sauces, j´ai déjà progressé d´environ 60 kilomètres sur cette piste très praticable. Petit à petit, j´ai continué à prendre de l´altitude. Mon vélo pèse lourd dans les côtes et je suis obligé de le pousser dans les parties les plus raides (la piste est longue d´environ 200 kilomètres et ne passe que par un seul village, raison pour laquelle je suis un peu plus chargé que d´accoutumé). Cependant, la météo s´est progressivement mise à changer et est ainsi passée de gros nuages gris jusqu´à virer à la tempête de neige. Heureusement pour moi, je ne me trouve qu´à une trentainte de kilomètres de l´unique village du coin qu´il me faut à présent rallier à tout prix afin de pouvoir y faire sécher mon matériel et être ainsi prêt à continuer sereinement ma route pour le lendemain.
C´est trempé jusqu´aux os que je fais mon entrée à Reigolil, aussi je me mets immédiatement en quête d´un toît pour passer la nuit et atterris dans le centre de soin local où la docteure Daniela m´y reçoit. Pas de problème pour passer la nuit ici me dit-elle après avoir consulté son collégue Christian. Je peux même rester le temps que les chutes de neige cessent (annoncées pour le jour suivant également). Comme je suis bloqué, je me rends utile comme je le peux en aidant les docteurs qui doivent s´absenter souvent en faisant la cuisine et le nettoyage. Vendredi arrive et ayant sympathisé avec mes hôtes, Daniela me propose de rendre visite à ses parents qui habitent à la fin de la piste à Curarrehue, là où je devais me rendre. Me laissant une nouvelle fois porter par la tournure que prennent les événements et sans aucune hésitation, j´accepte son invitation et en profiterai pour visiter les environs de la frontière avec l´Argentine en compagnie de sa famille, avec laquelle je passerai finalement tout le week end.
Les parents de Daniela vivent dans une petite maison dans laquelle je ne tiens pas debout tellement le plafond est bas. Son père est retraité mais il continue pourtant à travailler afin de pouvoir joindre les deux bouts. Possédant un volailler, un potager et même un petit moulin ainsi qu´un fumoir, ils confectionnent eux-même leur farine toastée et quantité de victuailles toutes plus délicieuses les unes que les autres ; victuailles à partir desquelles ils me prépareront très généreusement des provisions pour ma route, pour le plus grand réconfort de mes papilles.
Après tant de belles expériences spontanées, autant vous dire que je me sens ici comme chez moi et que je m´exprime à présent dans un espagnol à l´accent chilien très prononcé. C´est incroyable comme parfois il ne se passe rien pendant des mois et que tout à coup, sans rien demander, vous recevez invitations sur invitations, un peu comme si tout l´univers conspirait à vous faire faire du quasi sur place. Tout cela m´a beaucoup rappelé mon séjour en Turquie où j´avais eu le privilège de vivre une expérience similaire. C´est très enrichissant, on apprend énormément et très rapidement, et dans ces cas là, (comme dans tous les autres cas d´ailleurs) il faut simplement profiter et surtout ne pas hésiter à ralentir ; le jeu en vaut toujours la chandelle je peux vous le garantir.
Voici presque deux mois que je suis en terre chilienne et il ne me reste qu´un mois pour rallier Punta Arenas, la dernière ville du continent avant que n´expire la durée légale de mon séjour... Autant vous dire qu´en continuant à ce rythme, impossible de m´y rendre dans les temps! De surcroît, absolument tout le monde n´a eu de cesse de me parler de la légendaire hospitalité des gens du sud...Je ne m´imagine même pas ce que cela peut donner... le Chili est pourtant un pays exigeant à traverser et au climat rude mais grâce à ses habitants et à leur générosité, j´ai l´impression que tout est facile ici!
Afin d´être dans les temps pour arpenter la Carretera Autral, "la route de la fin du monde" comme ils l´appellent ici, je me résous finalement à retourner sur la panaméricaine et suspendre mes séries de zigzags afin de faire route plein sud le plus directement possible. Bien sûr je pourrais passer en Argentine si je le désirais puis regagner le Chili et ainsi repartir avec un nouveau tampon de 90 jours mais je n´en ai aucune envie... Alors j´avale les kilomètres qu´il vente, qu´il pleuve ou qu´il neige... je roule par tous les temps et trouve toujours une combine pour pouvoir terminer la journée avec des vêtements secs. En seulement 5 jours depuis Curarrehue, j´en ai déjà autant fait que tout le mois dernier et atteins l´extrême sud de la grande île de Chiloe trois petits jours plus tard. L´île est magnifique à traverser avec ses églises en bois typiques et ses maisons sur pilotis aux couleurs chatoyantes.
À partir de Quellón, j´embarquai pour un voyage en ferry de 12 heures (effectué de nuit afin de passer cette dernière au chaud) en direction de Puerto Cisnes, point de départ de mon expédition patagonienne.
À peine arrivé que je suis directement mis au parfum: la météo exécrable du coin est légendaire notamment à cause de ses fortes précipitations, beaucoup plus importantes qu´ailleurs et ne présente d´autres alternatives que s´extirper de ce port sous la pluie. Heureusement après les 40 premiers kilomètres, la pluie laisse place petit à petit à de simples nuages menaçants, laissant entrapercevoir parfois les cimes enneigées à l´horizon. La quantité de cascades au kilomètres carrés est impressionnante, après quoi la route se met subitement à suivre plus ou moins le cours de la rivière Mañihuales. Installant mon campement aux abords de la route à une petite vingtaine de kilomètres de la ville du même nom et à peine sous la tente qu´une voiture s´arrête et que "l´on frappe à la porte": Un couple m´ayant aperçu m´extraire de Puerto Cisnes dans la matinée et y retournant en cette fin d´après-midi viennent m´offrir des provisions contenant des denrées rares comme de la charcuterie (moi qui ne mange plus de viande excepté quand on m´en offre), le reste est plus classique (pain, jus de fruits, flans et yaourts) mais reste tombé du ciel, d´autant plus que les possibilités de ravitaillement commencent à s´espacer de plus en plus et surtout que les prix se mettent à grimper en flèche, Patagonie oblige!
La carretera austral est asphaltée sur environ les 250 premiers kilomètres du parcours et passe entre autres via Coyhaique à travers une route au parcours vallonnée, sur laquelle je me mets progressivement à gagner de l´altitude sans vraiment m´en apercevoir. Seule la neige, inexistente à Coyhaique mais qui commence à recouvrir petit à petit la végétation environnante et qui finit par atteindre une belle couche de 10-15 centimètres témoigne de l´altitude ainsi gagnée, tout comme les lacs à moitié gelés des environs. Après une belle et frigorifique descente, j´atteins finalement le village de Cerro Castillo où la route laisse désormais place à la piste.
La piste, c´est toujours la grande inconnue. Elle peut être composée de gravier et se révéler très roulante (il est dans ce cas là assez facile de faire environ 100 kilomètres) ou peut virer à du gros cailloux où l´on passe sa journée à regarder le sol afin d´éviter le plus moche sans pouvoir espérer dépasser les 50 kilomètres ou bien encore être composée de terre, ce qui est agréable également à la condition qu´elle soit bien sèche, sans quoi c´est tout bonnement un champ de boue où il est très pénible de progresser et espérer dépasser les 30 kilomètres... D´une longueur d´environ 300 kilomètres, cette dernière s´étend de Cerro Castillo et va me mener jusqu´à "la ville du soleil", Chile Chico (300 jours de soleil par an, une exception dans la Patagonie) à travers un parcours contournant le lago General Carrera, le plus grand lac du Chili. La difficulté de cette partie du parcours c´est qu´il n´y a qu´un seul point de ravitaillement (à Puerto Tranquilo) qui se trouve à mi chemin environ (en fait il y en a deux mais ce dernier est beaucoup trop rapproché du premier pour pouvoir être véritablement pris en compte) et qu´évaluer la quantité de provision à emmener avec soi se révèle être un petit casse tête pour deux raisons: La première c´est que j´ignore l´état véritable de cette fameuse piste et donc du temps nécessaire à sa traversée. Ensuite, je dois également tenir compte dans la balance des mauvais tours que la météo peut être ammenée à me jouer avant de prendre ma décision. Afin de ne pas me charger inutilement non plus, j´opte finalement pour 2 jours de vivres, me condamnant ainsi à deux étapes moyennes de 75 kilomètres, en misant sur une météo favorable ça passera facilement, et en cas de grosses précipitations, en me serrant un peu la ceinture, je pourrai aisément tirer ces provisions sur 3 jours pensai-je.
Finalement, je mettrai 4 jours pour rallier Puerto Tranquilo. Dès le premier jour et après une petite vingtaine de kilomètres parcouru, je rentre dans une zone de dynamitage où la route est fermée jusqu´à 19 heures, bien trop tard pour pouvoir rouler davantage... aïe! ça commence mal! Le jour suivant, j´accomplis 60 kilomètres sur de la piste parfois quasiment impraticable, parfois très roulante et trouve même un refuge au bord de l´eau qui m´évite de monter la tente. À mon réveil le lendemain, il pleut vraiment fort et j´attends que ça se calme...L´accalmie ne viendra pas avant la nuit. Mon stock de nourriture est au plus bas et je garde juste 2 vieux quignons de pain et une demie banane pour le petit déj du lendemain histoire d´avaler quelque chose et ne pas partir le ventre complètement vide. Hélas, à mon réveil, il pleut aussi fort que la veille. Mais cette fois, pas le choix! Que ce soit le déluge ou pas n´a plus vraiment d´importance et la perspective d´un bon repas qui m´attend 70 kilomètres plus loin me donne des forces insoupçonnées malgré une piste caillouteuse, un ventre vide et la grosse pluie. "-Si je m´arrête, je ne pourrai jamais redémarrer" me dis-je, alors malgré la faim qui se fait cruellement ressentir, je ne pose pas un pied à terre. "continue!" même à des endroits où normalement je descendrais du vélo afin de le pousser, là je passe en tenant bon à la barre! Finalement après quelques heures de calvaire, j´aperçois enfin le village au loin à l´horizon!
Pas de chance! À mon arrivée, les vitrines des magasins sont toutes fermées...et la bouffe qui me fait les beaux yeux derrière ces foutues vitres... Les restos? fermés aussi! Tentons de se faire inviter chez les flics! pas là... Nous sommes en date du 13 septembre et en pleine "fiestas patrias" à Puerto Tranquilo, ils ont choisi précisément ce jour-ci pour le défilé national car les jours suivants sont fériés...
Je prends mon mal en patience et assiste à ce défilé qui dure des plombes, toutes les classes du jardin d´enfants jusqu´au lycée passent en revue et y vont de leurs danses tour à tour... Tout le village est réuni là-bas, moi aussi ; attendant péniblement sa fin et la réouverture des échoppes puisque je n´ai rien de mieux à faire.
Enfin le moment de la délivrance arrive! dans quelques instants ce sera terminé aussi je me dirige sans plus attendre vers le commerce dont on m´avait garanti la réouverture une fois la parade terminée. Derrière les vitres, on s´agite mais on a pas l´air de vouloir ouvrir. Je toque à la vitre pour me signaler, le vélo bien en évidence pour qu´ils comprennent que je veux des provisions. Enfin! on m´invite à rentrer en faisant le tour par derrière et là on m´explique que c´est la pause du midi et qu´il faudrait que j´attende 15h que les magasins rouvrent...
"- Je serai très rapide, s´il vous plaît, laissez-moi faire mes courses en 5 minutes!"suppliais-je... la dame finit par accepter, enfin je vais pouvoir avaler quelque chose!
Une fois mes courses faites, je ne prends même pas la peine de me trouver un coin agréable pour attaquer, je me pose devant la vitrine où ma fidèle monture m´attendait et "passe à table".
Une fois le ventre plein et un repos salvateur, je peux enfin envisager la suite du parcours. Pendant que je prenais mon repas, deux passants m´ont abordé en m´expliquant la météo et le vent de face avec rafales à 80km/h que je vais devoir affronter demain si je n´arrive pas à atteindre le carrefour appelé El Maiten, situé à 50 kilomètres et qui marque précisément l´endroit où je passerai sur l´autre rive et où la route opère un volte-face soudain.
Ayant repris des forces et les vents ne soufflant pas trop violemment en ce début d´après-midi, je décide donc de faire tout mon possible afin de profiter de cet avantage et écourter ainsi au maximum la distance me séparant de ce fameux carrefour. Il est encore assez tôt et les journées ayant déjà bien rallongé, je m´estime capable de m´en rapprocher suffisamment... Peu avant la tombée de la nuit, j´atteins même El Maiten à ma grande satisfaction après une journée titanesque et plus de 100 kilomètres parcourus. Les vents ont beau être très violents par ici, une fois que l´on sait qu´il souffle principalement de la cordillère vers l´atlantique la plupart du temps, il devient plus facile de s´en prévenir.

"Chile Chico 115 kilomètres"... annonce le panneau au bord de la route. Hier soir, j´étais tellement épuisé que je ne l´avais même pas aperçu. Je ne sais pas où est passée la nuit... Une fois la tente montée, j´ai rapidement grignoté quelque chose, ai fermé les yeux et quand je les ai rouverts (5 minutes plus tard m´a t-il paru) il faisait déjà jour, comme si la nuit n´avait jamais été présente. Le soleil est là pour m´accueillir. Pas de nuage à l´horizon, beau début de journée mais il ne faut pas oublier où je me trouve... car en Patagonie, on peut voir les 4 saisons défilées en l´espace d´une seule journée! J´effectuerai la distance me séparant de "la ville du soleil" en deux étapes malgré une piste caillouteuse et un dénivelé beaucoup plus important que sur l´autre rive. Il m´en coûtera une fixation de sacoche qui cèda lors d´une descente négociée un peu trop rapidement je dois bien l´avouer. cette portion du parcours est magnifique et en chemin, j´ai droit à une succession de paysages tous plus spectaculaires les uns que les autres.
La ville du soleil a triste mine...300 jours de soleil par an et j´ai droit à de la fine pluie en guise d´accueil... Pas terrible! les derniers kilomètres avant de récupérer l´asphalte furent accomplis dans la gadoue, me forçant à nettoyer mon vélo avant de poursuivre ma route sur le beau bitume que je ne suis pas fâché de retrouver.
Selon ma carte, cette route goudronnée me permettra de reposer les jambes sur 100 kilomètres environ avant de récupérer la ruta 40 en Argentine via une piste d´une longueur approximative de 500 kilomètres passant à travers la pampa. Bonne surprise lorsque j´apprends que cette portion de la ruta 40 est asphaltée depuis 5 ans déjà.
La pampa, c´est le nom que l´on donne à la steppe dans ce coin du monde, c´est à dire pas de montagnes ni d´arbres non plus, bref rien pour freiner les vents qui peuvent se mettre à souffler dans n´importe quelle direction parfois à des vitesses folles et vous transformer une journée de vélo en cauchemar. La ruta 40 suit la plupart du temps une orientation plein sud comprenant quelques portions assez longues tout de même étant orientée sud-ouest qui devraient être les plus difficiles à passer. Depuis Los Sauces, ayant bien travaillé, je m´étais récompensé en faisant l´acquisition d´une petite radio qui va m´être plus qu´utile ici afin de me tenir informé de la vitesse des vents. "Radio nacional" se capte sur les grandes ondes même au milieu de nulle part et possède un bulletin d´information comprenant une météo assez précise autour de laquelle je vais pouvoir organiser mes étapes. Chaque matin à peine réveillé ou lors de mes nombreuses pauses déjeuner (je mange au moins 6 fois par jour comme tout bon cycliste qui se respecte), la radio est toujours allumée dans l´espoir d´écouter un bulletin météo.
La chance est avec moi: jour après jour la voix de la présentatrice annonce imperturbablement des journées sans vents et malgré la fatigue des jours précédents dûe à la piste qui use beaucoup plus que les routes asphaltées: quand on peut disposer d´un tel avantage, on se doit d´en profiter pleinement me dis-je. Les portions avec un petit vent de face soufflant à 30km/h me le rappellent bien d´ailleurs! Avec 700 kilomètres supplémentaires parcourus en l´espace de 5 jours, je me retrouve rapidement à repasser au Chili à hauteur de Puerto Natales à travers une ruta 40 ennuyeuse avec ses interminables lignes droites. Heureusement que les nombreux troupeaux de Guanacos franchissant les clôtures avec leur élégance naturelle sont venus me divertir un peu! 
250 petits kilomètres séparent Puerto Natales de Punta Arenas. Il fait très froid et je pédale avec toutes les couches de vêtements à ma disposition: 2 pantalons, 3 t-shirts sous mon coupe-vent, 2 paires de gants ainsi que mon gros bonnet. À chaque poste des carabineros, je m´invite à l´intérieur sous le pretexte d´y faire sécher mes affaires. Une fois dedans c´est quasi gagné et l´on peut alors demander s´ils n´ont pas à tout hasard un café et quelque chose à se mettre sous la dent. Souvent ça marche et je ressors de là le moral regonflé à bloc et l´estomac un peu plus plein.
J´atteins Punta Arenas au cours de la troisième journée depuis ma traversée de Puerto Natales. À partir d´ici, je dois prendre un nouveau ferry devant me faire traverser le détroit de Magellan afin de débarquer sur l´île de la Terre de feu.
Ayant beaucoup roulé et affaibli par de nombreuses journées de baroudeurs, je décide tout de même de prendre une nuit dans un hostel afin de pouvoir récupérer des forces avant les ultimes centaines de kilomètres me séparant de "la fin du monde".
Au jeudi 27 septembre, en fin d´après-midi, je me présente devant l´embarcadère aux alentours de 16h lorsqu´un cycliste voyageant avec 2 petites sacoches arrive à son tour. Daniel est brésilien, il est parti il y a deux semaines et a commencé son expédition patagonienne à El Calafate, haut lieu du tourisme argentin. Bavardant, nous ne voyons pas les deux heures de la traversée passer et d´un accord tacite, décidons de faire route ensemble. Le ferry nous a débarqués à Porvenir, la plus grande ville chilienne de la Terre de feu. À partir de là, une piste d´une longueur de 100 kilomètres nous sépare de la frontière avec l´Argentine. Dans un bon état et très roulante, nous n´en ferons qu´une bouchée en l´espace d´une journée et avons même l´agréable surprise d´y trouver un refuge en bon état au croisement de Onaisin où nous pourrons passer une bonne nuit réparatrice sans avoir à nous préoccuper des vents violents qui sévissent dans le secteur.
le jour suivant, c´est avec un bon vent dans le dos que nous reprenons la route, atteignant facilement les 35km/h sans pédaler, il n´y a quasiment rien à faire et les kilomètres défilent comme par magie. Je m´amuserai beaucoup moins quand je devrai repasser par là d´ici quelques jours avec les vents contre moi pensai-je... 
Au 2 octobre, j´atteins finalement la ville d´Ushuaia. Daniel est parti la veille, quant à moi, j´ai préféré profiter d´une nouvelle journée de repos dans une boulangerie à Tolhuin qui offre le gîte et le couvert à tous les cyclistes passant par là en attendant de récupérer une météo plus favorable. En chemin, il y a un col à passer qui culmine à 460 mètres, el Paso Garibaldi. Si le beau temps était de la partie, une fois basculé de l´autre côté, je retrouve une tempête de neige venant transformer la route en patinoire par endroit. Après un petit tour dans la ville d´une heure ou deux, je rebrousse déjà chemin et campe dans la forêt sachant qu´un lit douillet et surtout gratuit m´attend à Tolhuin, je n´ai après tout aucune raison de dépenser de l´argent inutilement à Ushuaia!
Mon vélo est plutôt mal-en-point...Avec 3 vitesses qui fonctionnent sur le plus petit plateau uniquement, il devient urgent de remettre à neuf la transmission si je veux pouvoir continuer à affronter la pampa dans de bonnes conditions.
Aussi, une fois arrivé sur Rio Gallegos (première ville du continent qui se trouve sur mon chemin), je n´ai d´autres choix que de sortir le porte monnaie. Voilà désormais deux bonnes semaines que je traverse la pampa patagonienne qui suit plus ou moins le tracé de la côte atlantique via la ruta 3. Pas grand chose à voir si ce ne sont les traditionnels guanacos qui continuent à me servir de distractions principales. Encore quelques centaines de kilomètres plus au nord et une fois franchi el Rio Negro, je serai officiellement sorti de la Patagonie et retrouverai sans doute de meilleures conditions afin de poursuivre ma route.
Quelques chiffres:

- À ce jour j´ai parcouru  2472 km au Chili en 47 jours et 31 étapes, soit une moyenne de 79,7 km par étape pour un total de 4545 km en 78,5 jours et 49,5 étapes pour ce pays, soit une moyenne totale de 91,8 km par étape.
- J´ai également parcouru à ce jour 2704 km en Argentine en 31 jours et 24 étapes, soit une moyenne de 112,6 km par étape.
- Le compteur total s´élève à environ 57.187km, en 1041 jours et 648 étapes, soit une moyenne de 88,25 km par étape.
- 233 cols franchis au total.
- 8855 euros dépensés à ce jour tout compris (transits en voilier ou avion, visas, hébergement, pièces pour le vélo, nourriture...), soit une moyenne d´environ 8,5 euros par jour.

lundi 30 juillet 2018

Cordillère des Andes, altiplano et le désert d'Atacama

La cordillère des Andes… D'une longueur d'environ 8000 kilomètres, elle s'étend du Venezuela jusqu'au sud du Chili. D'un climat humide le long de la Colombie à l'Equateur, plus vous descendez vers le sud et plus le climat s'assèche. Route mythique empruntée par de nombreux cyclistes, route difficile aussi pour sa succession de hauts sommets, déserts, canyons, pistes et la diversité des climats rencontrés, voici le récit de ma traversée en plein hiver de la fameuse chaîne de montagnes andines.
La période à laquelle je me retrouvai à parcourir la cordillère est donc peu propice à une descente vers le sud; jugeront bon nombre de cyclistes chevronnés… En effet, la pluie, le vent, la neige parfois, mais aussi le froid à haute altitude conjugué à l'humidité représentent autant de facteurs accentuant la difficulté d'une route qui a déjà la réputation d'être dure! Malgré ces inconvénients, ce n'est pas la première fois que je me retrouve à pédaler sous de telles conditions. Après tout… quand je parcourais les Balkans en cette fin d'année 2009, de la Slovénie à la Turquie, l'hiver et moi avions dû faire ce petit bout de chemin ensemble et de cette traversée, j'ai acquis certains automatismes et accumulé de la confiance aussi puisque je suis passé malgré certains bivouacs à -20 à installer mon campement sur la neige, malgré des kilomètres sur les routes enneigées en Croatie ou encore en Grèce et en Turquie… malgré le froid et les températures négatives aussi. Réitérer l'expérience est toujours plus facile que se lancer pour la première fois!


Nous sommes le jeudi 3 mai et c'est sous un temps maussade que se passe mon départ de la capitale équatorienne Quito "la mitad del mundo". Deux heures seront nécessaires pour m'extraire de la ville et rejoindre la E35 faisant route vers le sud à travers la cordillère. Je suis parti de bonne heure ayant remarqué qu'il ne pleut que rarement avant la mi-journée. Passer ce moment, il convient de progresser avec précaution en essayant d'anticiper une éventuelle pluie afin de la subir le moins possible pour pouvoir terminer la journée avec des vêtements secs; un impératif afin de ne pas prendre le risque de tomber malade. Ainsi, ce jour même je me faufilai tant bien que mal entre les averses quand je me laissai surprendre par la grêle au milieu de nulle-part. Pour ces cas d'urgences où il n'y a aucune possibilité de refuge à l'horizon, je garde volontairement sous la main ma toile de tente extérieure, prête à couvrir mon vélo et moi-même, attendant que l'averse passe.
L'axe Quito-Ambato, d'une longueur d'environ 200 kilomètres, me paraît être une route commerciale majeure du pays, comme en témoigne la 4 voies et le trafic assez conséquent qui en découle sur cette portion de la panaméricaine. Une fois Riobamba traversé en revanche, et l'aventure campestre peut enfin débuter. Traversant une multitude de villages peuplés de communautés indigènes vivant pour la plupart de l'élevage, l'artisanat et l'agriculture; la E35, aussi appelée "Troncal de la Sierra"  est une paisible route de montagne andine qui à peine sorti de Riobamba, commence à s'élever… à s'élever si haut que je me retrouvai bien rapidement sous une brume épaisse. Dans ces conditions, impossible de ne pas se mouiller, d'autant plus que nous sommes toujours sous l'influence de la saison des pluies, qui ne me quittera pas pendant l'intégralité de mon parcours équatorien. Heureusement, je me trouve toujours sous les tropiques et les températures restent relativement agréables malgré l'altitude et l'humidité. Les éclaircies demeurent suffisamment nombreuses, les possibilités d'abris également et les invitations à me réfugier sous un avant toit en cas de fortes pluies font que je parviens sans grandes difficultés à progresser et à terminer la journée au sec.
Les journées se succèdent et se ressemblent. Au niveau du profil des étapes: On monte puis on redescend pour tout remonter derrière encore une fois et on recommence encore et encore. Ainsi, ce ne sont pas moins de 16 cols que je franchirai en l'espace d'une semaine. Heureusement, malgré la montagne les routes sont impeccables, les paysages spectaculaires...quand les Andes se laissent dévoiler car il est aussi fréquent de se retrouver sous un épais brouillard et de ne rien voir à plus de quelques mètres. Il faut aussi être patient et ne pas hésiter à s'arrêter pour regarder la pluie tomber pendant quelques heures, ce qui arrivera quasi quotidiennement. Traversant surtout des zones isolées, par ce mauvais temps, il n'y a pas grand monde dehors mis à part moi-même et quelques bergers qui me tiendront compagnie plus d'une fois. Cette météo peu favorable me force également à être plus rigoureux sur l'entretien de mon vélo et quand il ne pleut pas, le vent me contraint souvent à rouler à bas régime afin de transpirer le moins possible et ne pas ainsi terminer la journée avec des vêtements humides. En chemin, les champs de quinoa, d'orges, de pommes de terre ou encore de blé complètent les vastes prairies où les élevages de moutons, chèvres ou lama paissent.
Pour dormir sous des températures clémentes, j'apporte une attention particulière à essayer de bivouaquer le plus possible en milieu d'ascension. Je m'explique: camper à proximité d'un sommet signifie débuter le jour suivant par une longue descente au moment où les températures sont les plus froides pour ensuite plonger dans la brume et signifie aussi dormir sous le froid. Il y a en plus le vent à prendre en compte qui complique le démontage de la tente et me force même parfois à pédaler dans les descentes! Installer son campement au pied du prochain col à basse altitude peut donc sembler intéressant, cependant il y fera sans doute aussi froid qu'à un sommet de nuit comme au petit matin car le froid descend et la brume viendra à coup sûr s'installer… loin d'être agréable pour commencer la journée suivante. L'idéal est donc de se renseigner souvent sur le profil à suivre auprès des populations locales afin d'essayer de trouver cette zone de campement idéale. Quand on la trouve, au réveil, la vue est magnifique et puis pour chauffer les muscles, rien de tel qu'une bonne ascension au réveil! Pendant cette ascension, les températures auront le temps de monter petit à petit et la descente sera plus supportable, la brume aura également le temps de se dissiper, rendant la journée plus agréable. Les enfants m'impressionnent car ce sont souvent eux qui me fournissent les informations les plus exactes, amusant! il faut dire que les adultes utilisent plus la voiture que le vélo, peut-être est-ce pour cela…

Au vendredi 11 mai en début d'après-midi, je passe la frontière et effectue mes premiers tours de roues au Pérou, l'un des pays les plus durs qu'il m'ait été donné l'occasion de traverser. Enchaînement successif de zones très reculées, pistes ou routes très étroites et en mauvais état par endroit, dénivelé difficile et ascensions de 2 ou 3 jours, mauvaises météo m'obligeant à pousser le vélo plus souvent que je pédale parfois sur des routes en travaux avec de la boue jusqu'aux chevilles, descentes techniques sous un épais brouillard, des cols à 4700 mètres à passer… voilà de quoi décourager plus d'un cycliste!
Pour atteindre le poste frontière de Macara, j'ai perdu énormément d'altitude après une longue descente d'environ 40 kilomètres au sortir du village de Catacocha situé en Équateur. Au fur et à mesure de la descente, la végétation luxuriante laisse peu à peu place à une plaine très aride, les cours d'eau sont à secs cependant quelques chèvres vagabondent librement un peu partout en recherche de nourriture. Trois options très distinctes se présentent une fois atteint la première ville péruvienne de Tambo Grande: vers l'ouest se trouve la panaméricaine qui suit la côte sur des milliers de kilomètres et qui n'est en fait qu'un grand désert. En passant par le centre du pays, située à 200 kilomètres de la côte pacifique environ, se trouve la cordillère avec ses hauts sommets. L'ouest du pays quant à lui, est occupé par la forêt amazonienne. Comme je le dis souvent, aucune route n'est facile à vélo et chacune présente ses avantages et inconvénients. Bien que les équatoriens me conseillèrent quasiment à l'unanimité de suivre la panaméricaine qui est toute plate, ils ne se rendent pas compte en voiture du facteur important que constitue le sens du vent, défavorable dans la partie péruvienne. De plus, traverser un désert n'est jamais facile et nécessite toujours de s'autodiscipliner afin de trouver un point de ravitaillement tous les jours. Passer par la cordillère durant cette période de l'année englobe les difficultés que je vous ai énumérées auparavant. Dans la jungle amazonienne, il faut évoluer sous la chaleur et l'humidité. Les pistes sont nombreuses et la pluie les rendra par moment quasiment impraticables. Il y a aussi toute la faune présente dans cette partie du globe: insectes peu commodes, serpents parfois venimeux ou autres "gros chats" comme les pumas ou les jaguars que l'on croise dès que l'on commence à s'éloigner un peu des sentiers battus.
La jungle, je me l'interdis pour le moment car ma tente a déjà trop souffert des outrages du temps et la moustiquaire ne ferme plus depuis ma traversée du Nicaragua. Les moustiques se régaleraient, accentuant les risques de contracter le paludisme ou la dengue et il serait préférable par conséquent de réinvestir dans une tente neuve qui ferme bien afin de diminuer les risques de contracter ces maladies avant de s'aventurer là-bas. Je pense plutôt aller y faire un tour dans sa partie brésilienne au cours de ma remontée du continent. J'ai même rencontré un cycliste brésilien de Sao Paulo au Honduras chez qui il sera possible de laisser une partie de mon matériel hivernal afin de m'y aventurer tout en ayant une monture la plus légère possible. Une expédition dans la jungle, je vois un peu cela comme traverser un désert et c'est une zone géographique particulière où il faut être rigoureux sur les préparatifs et la discipline. Naturellement attiré par les montagnes, j'étais déjà décidé à poursuivre mon parcours sur la cordillère mais l'option du désert reste intéressante pour reposer les jambes des hauts sommets, d'autant plus que rouler sur des pistes est toujours plus exigeant que l'asphalte.
C'est donc sans réfléchir que je poursuis ma route en sortie de Tambo Grande en direction de Huacabamba. La route traverse une grande plaine durant les premiers 200 kilomètres et la chaleur et l'humidité règnent ici. Plantations de bananiers, maïs, riz, mangue, citron ou encore manioc bordent la route. Le samedi 12 mai en milieu d'après-midi, j'arrive au hameau de La Alberca et repère un petit parc en face de l'église du village qui ferait un bon campement. Il fait beau ce jour là et il y a du monde dehors, aussi je demande l'autorisation (que l'on m'accorde aussitôt) et commence à m'installer. Rapidement les enfants me rejoignent bientôt suivi des parents qui m'invitèrent rapidement à participer aux festivités du soir: c'est la fête des mères ici et une animation est prévue. Segundo, un grand-père me prend rapidement en sympathie et m'invite même à venir prendre ma douche et le déjeuner chez lui. Je me sens tellement bien ici que j'y passerai tout le week end avant de reprendre la route.
Ayant repris des forces pour l'ascension à venir, je quitte mes nouveaux amis pour continuer ma route vers Canchaque puis Huacabamba où je récupérerai la 3N qui traverse tout le pays en suivant le tracé de la cordillère. L'ascension fait 60 kilomètres: je mettrai 3 jours avant de voir le sommet. Si les premiers kilomètres s'avalent facilement, la belle route toute neuve rétrécit rapidement pour ne plus faire qu'un mètre environ. L'asphalte laisse place petit à petit à une piste et je ne tardai pas à me retrouver plongé sous un épais brouillard. En chemin, je traverse de nombreuses rivières ce qui n'est pas très surprenant mais l'originalité au Pérou, c'est qu'il n'y a quasiment jamais de ponts: la route se retrouve ainsi coupée en deux par les cours d'eau et à chaque fois il faut se déchausser et pousser le vélo afin de les traverser malgré l'eau glacé. Par endroits, il y a tellement de boue que je me retrouve également à devoir pousser le vélo sur quelques kilomètres. S'en suit le rituel du nettoyage de mes baskets et de ma monture, après quoi je me retrouve en tongs malgré le froid. Dans chaque village traversé, les maisons sont plus que modestes. Peu de meubles, murs en adobe, on se chauffe et on cuisine au bois n'utilisant le gaz qu'en dernier recours. C'est à se demander où va tout l'argent de ce pays minier et à qui profite t-il? en tout cas, pas aux populations locales vu l'état des villages. Certains parmi eux ont vu l'électricité arriver il y a moins d'une décennie: sans doute pour y exploiter un nouveau filon et faire parvenir le courant jusqu'à la nouvelle mine. Quand les routes de hautes montagnes sont goudronnées, ce n'est pas pour désenclaver les villages mais plutôt pour faire passer les énormes convois de camions transportant le minerais brut jusque la côte où il est raffiné.
Si les pistes sont si nombreuses ici, c'est notamment pour leurs coûts élevés à entretenir à cause des importantes variations de températures régnant à de telles altitudes m'a t-on expliqué.
Les Andes usent petit à petit mais malgré des conditions difficiles et une météo défavorable, les jours passent et je continue à progresser. D'un jour à l'autre, je récupère facilement. Je garde aussi un bon moral; surtout grâce aux populations locales et leur aide: quand je me ravitaille, on m'invite généralement soit à déjeuner soit à prendre un café ou encore à rentrer afin de me réchauffer, de me laver et aussi faire sécher mes vêtements. Et si l'on me fait payer l'intégralité de mes achats, je termine la plupart du temps avec le double de légumes et de fruits. Par conséquence, j'achète deux fois moins que de besoin afin de ne pas me surcharger. Cependant, après deux semaines passées à une altitude oscillant entre 3500 et 4300 mètres et environ un millier de kilomètres parcouru, la perspective d'une nouvelle piste de plus de 100 kilomètres finit par me décourager et je décide de rejoindre la côte au niveau de Trujillo afin de changer d'air et de récupérer des forces. Après une très longue descente de 120 kilomètres approximativement où le paysage s'assèche petit à petit, je traverse une dernière plaine bordée de champs de canne à sucre avant de rejoindre la côte et son désert. La panaméricaine est en excellent état: 4 voies mais au trafic très dense avec au moins une ville chaque 150 kilomètres. Si la matinée s'avère facile et que l'on peut aisément franchir la barre des 70 à 90 kilomètres, une fois le vent levé en revanche, c'est une autre affaire. Soufflant de trois quarts face durant cette période de l'année, il m'obligera à adopter plus de précautions à cause de ses rafales et à adopter un rythme plus tranquille l'après-midi afin de ne pas trop me fatiguer. Je vais ainsi parcourir pas moins de 600 kilomètres en 4 jours en me levant dès l'aube et en partant aux premières lueurs du jour afin de profiter au maximum de cette période favorable et continuer à rouler tranquillement en moulinant avec beaucoup de pauses dans l'après-midi. S'il y a bien quelques petites montées, elles s'avalent très facilement après un mois passé sur la cordillère.
Arrivé à hauteur de Chancay, j'ai bien récupéré aussi je quitte la panaméricaine afin de contourner Lima et bifurque en direction de Huaral pour réaliser une nouvelle ascension de 3 jours devant me faire passer du niveau de la mer à un peu plus de 4700 mètres d'altitude. Mais l'ascension attendra le jour suivant car c'était sans compter sur l'hospitalité du club cycliste de Huaral qui par l'intermédiaire de Carlos vont me trouver en 5 minutes un hébergement pour la nuit après un passage à l'atelier de Manuel pour y nettoyer ma monture. Cette ascension suit tout du long la rivière Chancay jusqu'à remonter à son lieu de naissance. Paysage lunaire, chutes de neige, gros vent et pistes sont de la partie au fur et à mesure que l'on se rapproche du sommet. Une fois passé de l'autre côté, à hauteur de Vicco, je récupère la 3S qui continue sa route à travers les Andes en suivant sur cette partie du parcours la rivière Mataro sur quelques centaines de kilomètres jusqu'à me mener vers un canyon à la piste très étroite encore une fois. Une fois sorti de là: 90% de la route restante est en bon état. Asphaltée, elle mène à la ville de Cusco près de laquelle se situe le célèbre site du Machu Picchu qui reste à ce moment à 5 cols de là, à une distance d'environ 500 kilomètres.
Mon arrivé à Cusco coincide avec les fêtes en l'honneur du solstice d'hiver, événement qui marquait le nouvel an chez les incas peuplant la région à l'époque. La saison sèche, qui a d'après les dires des habitants un bon mois de retard paraît enfin se stabiliser et se caractérise par des journées ensoleillées et aux températures agréables mais qui chutent très rapidement une fois le crépuscule venu. Après un repos de quelques jours et avoir fait l'impasse sur le Machu Picchu (prix d'environ 150 sols soit 38 euros représentant pour moi une bonne semaine de voyage), je continue ma route sur la 3S qui fait route en direction du lac Titicaca et de son altiplano bolivien. Les nuits sont désormais glaciales et mon eau gèle même durant la nuit. Je retrouverai également du gel sur la toile de tente extérieure quotidiennement à partir de maintenant.
Cusco se situe à une altitude approximative de 3500 mètres. Faisant route vers l'est à présent, une ultime ascension menant à Abra la Raya avec son sommet à environ 4300 mètres me sépare de la pampa péruvienne perchée sur l'altiplano; une grande plaine sans arbres qui s'étend sur environ 1500 kilomètres de long, du Pérou jusque le Chili et l'Argentine.
Mercredi 20 mai. J'aperçois enfin le lac Titicaca au loin à l'horizon. Quelques arbres refont leur apparition et les températures sont un peu plus clémentes malgré l'altitude. Deux postes frontières  permettent de passer en Bolivie: celui de Copacabana (le plus emprunté et le plus touristique aussi) et celui de Desaguadero, qui retient mon attention car il permet de contourner facilement La Paz. Deux jours seront nécessaires pour rejoindre la Bolivie tout en longeant le lac après quoi s'en suivra, ayant un vent favorable cette fois, de grandes étapes très roulantes à travers la steppe bolivienne. Dans cette partie du globe, on cultive exclusivement de la pomme de terre et c'est la pleine récolte au moment de mon passage. Ayant repris un cap plein sud, le paysage évolue au fil des jours et le désert s'annonce petit à petit.
Après seulement 7 jours passés en Bolivie et plus de 800 kilomètres parcouru, la frontière chilienne n'est plus très loin désormais. Les cimes enneigés, visibles au loin annoncent la sortie de l'altiplano et le retour de la haute montagne. Le poste frontière d'Ollagüe, situé derrière 2 cols à 4300 mètres à passer à travers une longue piste de plus de 100 kilomètres, est la dernière grosse difficulté avant de se retrouver dans le désert d'Atacama. La difficulté de ce passage, c'est qu'au sortir du petit village d'Alota (dernier ravitaillement possible du côté bolivien et qui se situe encore à 70 kilomètres d'Ollagüe), il n'y a rien avant la ville de Calama située à 200 kilomètres plus au sud une fois la frontière passée. Seul l'immigration et les douanes sont présents à Ollagüe, ce qui représente tout de même un ravitaillement en eau mais pour la nourriture, il n'y a pas d'autres choix que se charger. Heureusement que j'ai croisé ce cycliste polonais avant d'atteindre Alota et qui m'a tout expliqué sur cette frontière! Grâce à lui, je sais au moins à quoi m'attendre et peux me préparer convenablement.
La ville de Calama se situe selon ses dires à une altitude de 2000 mètres environ, et je prévois donc une grosse étape de baroudeur une fois entré au Chili en escomptant sur une longue descente et un vent favorable pour rallier rapidement cette ville tout en évitant de trop me charger; ce qui constituerait une gêne pour passer les 2 cols à travers la piste qui n'est pas en bon état d'après lui… Je mettrai 3 jours et demi pour parcourir les 270 kilomètres séparant Alota de Calama. En chemin, les paysages sont époustouflants et parviennent même à me faire oublier l'exigence physique de cette partie du parcours.
Ainsi me voilà au Chili et son fameux désert d'Atacama, haut lieu de l'observation astronomique et deuxième désert sur mon chemin après celui du Sahara traversé durant l'hiver 2011. À la différence de ce dernier, c'est un désert que je qualifierais de "facile" à traverser car il y présente de nombreuses possibilités en ravitaillement par l'intermédiaire des posadas disséminées un peu partout tout le long du parcours. Les routes sont en excellents état, sans doute à cause des nombreuses mines de cuivre réparties sur l'ensemble de son territoire. Le trafic y est assez important: il est essentiellement constitué de camions transportant de grosses machines minières ou de l'acide sulfurique nécessaire au raffinement du minerai brut qui est malheureusement traité directement sur place… (J'ose à peine imaginer la catastrophe écologique que cela représente). Je mettrai au total 13 jours pour traverser ce désert, avec un peu plus de 1300 kilomètres au compteur. L'expérience fut incroyable, notamment grâce aux chiliens, leur grande générosité et de nombreux moments de partage ainsi qu'à des bivouacs de rêve à contempler le ciel nocturne et sa voie lactée pendant des heures.
La deuxième grande ville une fois passé Calama s'appelle Antofagasta. Elle est un point de ravitaillement obligé mais la panaméricaine (la 5N) ne passe pas directement par la ville et force à un détour de plusieurs dizaines de kilomètres. Une prison et trois petites cabanes en bois devant l'entrée bordent tout de même la route un peu après la bifurcation et je décide de profiter de l'occasion pour me renseigner sur le commerce le plus proche. La Señora Claudia occupe la première cabane et au fur et à mesure de la conversation elle m'invite à rentrer et à m'attabler afin de prendre le déjeuner. Je passerai deux bonnes heures en sa compagnie et je repartirai en ayant fait mes courses chez elle! Pain, sucre, café, chocolat, lait en poudre, fruits, le plein d'eau et quelques sucreries également: la quantité est impressionnante et le tout est offert par la maison.
Non loin d'Antofagasta sur la panaméricaine, une dizaine de kilomètres après avoir quitté Claudia, se trouve l'horrible zone industrielle de La Negra où j'établis mon campement derrière une station service afin de pouvoir boire à ma guise et cuisiner; ce qui me permettra aussi de refaire le plein d'eau avant de partir le lendemain matin. J'y croise un convoi de 4 camions transportant un énorme véhicule minier en pièce détachée qu'ils doivent transporter jusqu'à Santiago, la capitale du pays. Ce convoi exceptionnel (la remorque seulement pèse plusieurs tonnes et mesure 10 mètres de large pour plusieurs mètres de haut) ne peut progresser sans escortes policières des carabineros et de ce fait ils progressent à une vitesse plus ou moins similaire à la mienne: nous nous dépasserons ainsi à tour de rôle 5 fois en 3 jours avec à chaque fois une bonne discussion et une invitation à partager leur repas.
Samedi 7 juillet au petit matin. Après 500 mètres parcourus, je retombe sur mes camionneurs une nouvelle fois et comme le veut désormais la tradition, nous partageons le petit déjeuner. Au cours de la conversation, ils m'invitèrent cependant cette fois-ci à passer le week end en leur compagnie dans le petit village de pêcheur de Puerto Flamenco si l'envie m'en dit puisqu'ils ne pensent pas rouler demain. C'est sans aucune hésitation que j'acceptai l'aimable invitation et après avoir chargé le vélo et être monté dans une cabine en compagnie de Luis, nous ne tardons pas à nous mettre en route une fois "la poli" arrivée…
Ces chauffeurs gagnent très bien puisque leur salaire est d'environ 1500 euros par mois. Ils peuvent également prétendre doubler ce montant s'ils économisent l'argent offert par l'entreprise afin de manger et de se loger (ce qui est presque toujours le cas). Cependant, ils partent pour de nombreuses semaines voir plusieurs mois parfois et j'imagine que la vie familiale est assez compliquée. Beaucoup le font pour payer les études supérieures de leurs enfants ainsi que leur maison après quoi ils démissionnent et se mettent en recherche d'un travail plus tranquille.
Lundi 9 Juillet. Après une fin de semaine riche en partage et assez festif, je me remets en route. Copiaco, Vallenar, La Serena… les longues étapes s'enchaînent avec facilité et au 12 juillet, la verdure et les troupeaux de moutons refont petit à petit leur apparition. Les nuits continuent d'être glaciales mais en contrepartie les journées sont ensoleillées et il ne pleut pas une goutte.
Le Chili a une population totale de 17 millions d'habitants parmi lesquels presque la moitié vivent à la capitale. Avec le désert d'Atacama au nord et la Patagonie au sud, seul le centre du pays est facile à traverser avec de nombreuses villes et quantité de villages disséminés un peu partout. Pour le reste, les possibilités de ravitaillement restent limiter et contraignent à rouler dur afin de ne trop se charger.
Los Vilos fait parti de ces points stratégiques où il est facile de trouver de tout. Il s'agit d'une petite ville située sur la côte à environ 220 kilomètres au nord ouest de Santiago. Je pensais simplement y faire halte le temps du déjeuner et de faire quelques courses mais alors que j'arpentais la rue principale en quête d'un supermarché, une jeune femme me salue cordialement comme si on se connaissait depuis longtemps et s'excuse même assez rapidement de ne pouvoir me recevoir chez elle car il y a un pont ce week end et elle héberge déjà une tante et ses cousins…Un peu surpris par cette entrée en matière mais séduit par sa bienveillance, je me laisse guider et après quelques coups de fil et seulement une demie heure passée, je me retrouve sans comprendre comment chez les pompiers avec un lit, douche, machine à laver, cuisine toute équipée, billard et surtout de nombreux nouveaux amis avec lesquels converser. Je me sens bien ici, d'autant plus que les pompiers bénévoles m'invitent à rester aussi longtemps que je le souhaite. J'en profite pour assister aux festivités de la San Pedro, nettoyer à fond mon vélo, faire plus ample connaissance avec Fernanda, la jeune femme à qui je dois tout ceci. Elle et son frère aîné Alfonso ont déjà effectué quelques voyages de cyclotouristes en Équateur et en Colombie. À chaque fois qu'un cycliste passe par Los Vilos, c'est plus fort qu'eux et ils se font un devoir de les aider et de les inviter. Je passerai 3 jours dans cette ville à me reposer de ma traversée du désert.
Mardi 17 juillet. Je me remets en route une nouvelle fois en direction de Valparaiso dans le but de contourner Santiago et son trafic afin de me rendre aux alentours de San Fernando où Éric Gehin, originaire lui aussi de Cornimont, a élu domicile et m'a très généreusement invité à passer lui rendre visite. Les paysages ont changé petit à petit et j'évolue désormais parmi les vignes et de petites oliveraies. Voilà maintenant 10 jours que je vis avec sa belle famille qui m'a très facilement adopté et que je goûte une nouvelle fois un repos bien mérité. Le Chili est vraiment un pays extraordinaire et l'hospitalité incroyable de ses habitants m'a conquis. Malgré l'hiver et un pays difficile à traverser "sur le papier", tout est facile ici! Je me trouve à présent à environ 2000 kilomètres de la Patagonie, qui se rapproche petit à petit. On m'a déjà averti qu'il pleut beaucoup au sud et que la fin du continent est réputée pour la force de ses vents. Les températures vont continuer à baisser à mesure de ma descente mais après autant de repos et de facilité, j'ai quand même envie de continuer à faire route au sud. Si les conditions se détériorent, il sera toujours possible d'aller faire un tour en Argentine afin d'attendre que l'hiver passe et planifier une arrivée à Punta Arena pour septembre, soit à l'approche du printemps.

Souvent, les gens demandent où je me rends et m'invitent à la prudence; le voisin ayant toujours d'après les dires de mauvaises intentions…Cette peur du voisin et ces mises en garde sont systématiques et je les ai retrouvées partout dans le monde. À les écouter, le monde est un endroit dangereux et voyager seul, sans téléphone portable de surcroît, constitue pour certains une folie et nécessite beaucoup de courage et de prudence. Partout, on me parle d'insécurité, de vols, disparitions, meurtres…alors que je constate exactement l'inverse, si bien qu'il m'est impossible de rester silencieux face à de telles remarques désormais. La compassion, l'amour, la solidarité, l'hospitalité aussi correspondent beaucoup plus à la réalité. Une personne possédant les qualités citées auparavant est "une personne sans histoires" et ne fera pas beaucoup parler d'elle alors que les autres, qui représentent pourtant une infime proportion de la population mondiale, on en entend parler tout le temps. Pour les sédentaires qui lisent les journaux et regardent la télévision, il est donc normal de penser que le monde est ainsi. C'est encore plus vrai ici en Amérique latine où les journaux télévisés ne sont qu'une succession des hauts faits et arrestations que la police a accompli avec succès durant la journée. Alors, est-ce un miracle si en deux ans et demi de voyage en solitaire personne n'a jamais tenté de me voler? Est-ce un miracle d'avoir survécu à la traversée du Mexique, de la Mauritanie, du Honduras ou autres zones à la réputation dangereuse? je ne pense pas. Certes je suis tout de même prudent mais je n'hésite pas à accorder ma confiance à mon prochain après une petite discussion de deux ou cinq minutes seulement.

Les gens sont donc également surpris quand ils apprennent que je ne possède pas de téléphone portable… Même dans des zones reculées ou dites pauvres, tout le monde en possède un de nos jours, si ce n'est deux ou un pour plusieurs! les enfants aussi ont le leur, pourquoi pas moi? Mon premier téléphone, je l'ai acheté fin 2011 en m'installant au Mexique un peu malgré moi puisque sans portable l'école émettait encore quelques réticences à m'embaucher. Et puis je n'ai jamais ressenti le besoin ni l'utilité d'en posséder un ayant toujours préféré établir un dialogue, rendre visite sans prévenir ou encore demander des informations aux passants plutôt que d'acquérir cet appareil chronophage. Soit disant qu'il connecte les gens… Je pense plutôt que c'est exactement le phénomène inverse qui s'est produit… Dans les villes ou à la campagne, il est même devenu fréquent de croiser des personnes marchant les yeux rivés sur leur écran plutôt que de faire attention où ils marchent! Parfois, je croise aussi des gens qui perdent en un instant le fil d'une conversation parce que leur téléphone se met à sonner ou à vibrer, requérant en un instant toute leur attention…un grand moment de solitude pour l'autre parlant dans le vide… Nous avons beaucoup perdu en chaleur humaine depuis leur apparition je pense. On envoie des messages alors que l'interlocuteur habite la maison d'à côté ou se trouve dans la même pièce, on utilise le GPS pour ne pas se perdre au lieu de demander aux gens son chemin sont autant d'occasions perdues au niveau relationnel. C'est donc sans hésitation que je m'en suis débarrassé avant de reprendre la route. Je ne suis pas anti-technologie: la preuve puisque je tiens tout de même ce journal de voyage sur un support numérique cependant, il convient de l'utiliser avec parcimonie et sagesse. Sur ce chers lecteurs, je vous laisse méditer sur ces deux dernières petites pensées et vous dis à bientôt.
Quelques chiffres :
- À ce jour j'ai parcouru au total 1107 km en Équateur en 14,5 jours et 11,5 étapes, soit une moyenne de 96,2 km par étape.
- J'ai également parcouru 3398 km au Pérou en 41,5 jours et 36,5 étapes, soit une moyenne de 93,1 km par étape.
- J'ai également parcouru 861 km en Bolivie en 7,5 jours et 7,5 étapes, soit une moyenne de 114,8 km par étape.
- J'ai également parcouru 2073 km au Chili en 31,5 jours et 18,5 étapes, soit une moyenne de 112,1 km par étape.
- Le compteur total s'élève à environ 52.011 km, en 953 jours et 593 étapes, soit une moyenne de 87,7 km par étape.
- 226 cols franchis au total.
- 7805 euros dépensés à ce jour tout compris (transits en voilier ou avion, visas, hébergement, pièces pour le vélo, nourriture…), soit une moyenne d'environ 8,19 euros par jour.